Article sur la revue de la fédération Internationale de Judo

La journaliste sportif Céline Géraud, vice championne du monde de judo en 1986, vient de publier un article sur ma vision des points communs qu’il peut y avoir entre le judo, l’intervention de police au RAID et la période actuelle de troubles.
Merci Céline pour cet article paru aujourd’hui sur le site de la Fédération Internationale de Judo.

COMMENT LES HÉROS SONT-ILS FABRIQUÉS?

Cinq ans en Equipe de France de judo, vainqueur du Tournoi de Paris en 1990, Marc VERILLOTTE est aussi Major du RAID, l’unité d’élite de la Police Nationale Française. Pendant 20 ans, au sein de la colonne d’assaut du RAID il a participé à de nombreuses interventions. Il était notamment en première ligne lors de l’assaut du Bataclan en 2013 et de la libération des 26 otages de l’Hyper Cacher en 2015. Retraité depuis décembre 2018, il est désormais conférencier, sa spécialité : l’optimisation des habiletés mentales en zone de crise .
Son témoignage pendant cette période inédite de confinement du au COVID19 est une source d’inspiration et de réflexion.

Q/Comment un Major du RAID, habitué à être dans l’action, gère t’il cette période de confinement où les mouvements sont limités ?
 
MV : « Les temps d’attente dans la colonne d’assaut que j’ai vécu au sein du RAID ont des caractéristiques communes avec cette période de confinement. Ce sont des moments sensibles à gérer car ils font l’objet de multiples menaces : la gamberge et la rumination, le débordement des pensées négatives mais aussi le stress qui cherche des « failles » de vulnérabilité pour s’engouffrer…
Il faut absolument remplacer ou occuper ces moments d’attente par des actions simples et utiles.
Et en tant qu’ancien judoka de haut niveau, je l’avoue, c’est plus simple à gérer. Quand nous étions en intervention, mes coéquipiers enviaient ma capacité à me relâcher tout en restant concentré. Il y avait des assauts fulgurant qui duraient quelques minutes, d’autres plus éprouvants qui pouvaient durer plus de 30h00. Mon expérience sur les tatamis me permettait de monter en pression et de redescendre très facilement, comme lors d’un Tournoi où tu dois savoir « enclencher et débrancher », monter et descendre le curseur physique et psychique entre chaque combat. Je traverse cette période de confinement avec la même attitude.

Q/En quoi le judo t’a aidé à monter en puissance au sein de cette unité d’élite ? 
 
MV : « le judo a été déterminant. Quand j’ai quitté l’Equipe de France pour rejoindre la police, j’étais le plus fort physiquement mais sur le plan mental et psychologique, j’ai du bosser dur et ajuster ma préparation pour rester jusqu’à 53 ans dans le groupe d’intervention. Vingt ans sur le front, dans le service actif, c’est rare car le niveau d’exigence au RAID est très sélectif. La pratique du judo a fait de moi un « 4X4 », souple, modulable, avec une capacité d’adaptation au dessus de la moyenne. Sur un tatamis, tu passes beaucoup de temps à enchaîner les uchi-komis, a automatiser chaque geste à l’infini, lors d’un combat tu dois aussi toujours te préparer à l’imprévisible, savoir gérer tes émotions. Cette routine te permet d’appréhender les situations les plus risquées avec beaucoup plus de sérénité que les autres. Quand le 9 janvier 2015, lors de la prise d’otage de l’Hypermarché Casher de la Porte de Vincennes (NDLR : cette attaque terroriste avait fait 5 morts dont le preneur d’otages) je pose l’explosif qui va ouvrir la porte, je sais que je n’ai pas le droit à l’erreur. Je sais que juste derrière cette porte le terroriste est équipé d’une arme qui tire 600 coups par minute et que la moindre erreur peut entraîner la mort d’une dizaine d’otages en quelques secondes.. .Au RAID comme sur un tatami il y a une feuille de cigarette qui te sépare du statut de « héros » ou de « zéro ». ! Tout doit avoir été abordé avant : cohérence, morale, lois et valeurs. 
 
Q/ justement, parmi toutes les valeurs du judo, quelle est celle qui a le plus de sens pour toi ?
 
MV : « Sans hésiter, l’entraide et l’humilité. Lors d’un assaut, tu prends des risques inouïs pour stopper un terroriste mais aussi pour protéger tes coéquipiers. Le 21 mars 2012, lors de l’intervention au domicile de Mohammed MERAH à Toulouse, j’ai pris 2 balles, une dans l’épaule, l’autre dans le casque entre les 2 yeux, c’était un calibre 11,43 mm qui heureusement n’a pas traversé complètement le blindage du casque, mais cela  a entrainé une hémorragie cérébrale…quand tu réintègres le groupe, après plusieurs semaines, l’entraide et l’amitié qui te lient à tes frères d’armes prennent tout leurs sens. Et là encore le judo t’aide à surmonter cette épreuve, car sur le plan de la résilience, l’expérience sur le tatami est unique. A l’entraînement, en compétition, tu chutes beaucoup, tu perds régulièrement. Je pense que le judo est sans doute le seul sport où tu te fais autant « démonter » quelque soit ton statut. La chute, la capacité de résistance, la gestion de la fatigue et des émotions sont propres à notre art martial . Un judoka qui veut devenir champion doit d’abord apprendre à se relever sans cesse, en restant humble et conquérant à la fois. Tu ne peux pas avoir la « grosse tête » sinon tu exploses. Au RAID tu dois avoir la même attitude, immuablement, sinon tu ne tiens pas. 
 
Q/un conseil pour la famille du judo pour mieux vivre la dernière ligne droite de ce confinement ?
 
MV : « je vous en donnerai deux ! Tout d’abord, prendre de la hauteur , savoir sortir de l’évènement pour ne pas en être prisonnier, prendre du recul,  changer d’angle de vue, se recentrer sur soi. Il faut retirer de devant ses yeux le filtre qui assombrit et le remplacer par un filtre plus clair. Il faut relativiser : nous sommes en guerre contre ce virus, mais pour la plupart d’entre nous, cette guerre consiste à rester bloqué sur son canapé… et non de vivre 4 ans dans une tranchée, sous les obus, les gaz, les rats et la vermine, comme c’était le cas à Verdun pendant la guerre de 14/18.  
Mon 2è conseil : faire du sport ! Jim Rohn, un écrivain américain à dit :  « Fais attention à ton corps, c’est le seul vrai endroit où tu vis. » Faire du sport, même une petite demi-heure, fait baisser le stress physiologique, la tension émotionnelle, le niveau d’anxiété…Cela améliore l’image que l’on a de soi et augmente notre taux d’endorphine, l’hormone de la joie et du bien-être…
Alors préparons notre corps avec enthousiasme, pour qu’il soit prêt quand ce sera l’heure de rebondir, au moment du « déconfinement »..au « Top intervention ! »

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